Une Antigone par Thérèse Françoise Crassous
Antigone, amoureuse d’Hémon frétillant dandy,
Au corps ambré de superbe Apollon
Batifolait, insouciante et belle.
Son prénom recherché commençait par un A
Dans l’alphabet c’était, pour l’année, la première voyelle.
Elle avait été nommée ainsi en souvenir d’Anouilh,
Et d’une lignée de race des seigneurs de Thèbes.
Son frère, Etéocle, aurait pu s’appeler grand bêta
Tellement il était très souvent une nouille
Et pataud. Son frère puîné Polynice
Avait les mollets aussi gros que ses cuisses.
Ensemble, ils s’amusaient, couraient le guilledou
Avant d’être rappelés à l’ordre par un sifflet
Et de se faire gronder pour un peu tout.
Ils regimbaient souvent, n’aimaient pas la laisse.
Ils avaient un désir énorme de liberté
Souhaitant être par-dessus tout, à l’aise.
Les deux frères voulaient tous les deux être rois de la niche
Et se cherchaient continuelles querelles.
Ils se battaient comme des fous,
Jusqu’au moment funeste où ils se sont entretués.
Créon, leur maître n’aima pas ça du tout
Et voulut punir Polynice qui avait commencé,
Lui refusant la sépulture qu’à l’autre il accorda.
Le traitant de traître, aux quatre vents, il le jeta.
Antigone éplorée, craint les foudres de Créon.
Mais elle veut enterrer dignement
Son frère très cher et donner à son âme errante
La paix bienfaisante de son dernier repos !
Elle, craintive et servante docile,
Sortir à la nuit, défier les interdits
Pour creuser un trou, sépulture décente.
Encore adolescente, elle a compris que son ami rebelle
Comme elle à son âge avait les même goûts
Et l’instinct de soumission n’était pas de ceux
Qu’on pouvait imposer aux caractères ambitieux.
Elle le défendait en son âme et conscience,
Prête à braver la mort pour désobéissance
Et risquer le courroux de son maître chéri.
Partagée entre devoir et penchant de son cœur,
Pour ce choix difficile, elle se désolait
D’une voix inaudible et dépérissait.
Son destin était-il de mourir pour celui qu’elle aimait ?
Elle implora les dieux de la Grèce antique
Et la Pythie aux pouvoirs fantastiques
Qui la laissèrent tomber comme une vieille chaussette.
Son maître endormi, elle décida de se couvrir de cendres,
Puis guetta l’ombre avant que de descendre,
Se coula dehors comme un conspirateur :
Dans le feu de l’action, elle n’avait plus peur.
Et si un lendemain lugubre frappait à la fenêtre ?
« Après tout, on verra bien demain » se dit-elle fataliste.
Et repartit se coucher, satisfaction au cœur.
Que de drames s’ensuivent dans la pièce de théâtre
Qu’elle a entendue un soir lire, à la veillée,
Par Eurydice, comédienne, à son époux épris !
Quel cauchemar terrible, Antigone a-t-elle fait ?
Elle se voit dans le cachot, morte
Hémon s’immole près de sa fiancée
Eurydice ne peut pas supporter de perdre son adoré,
Et maudissant le terrible maléfice
Qui s’abat sur la famille de ses chiens de concours,
Ne trouve que la force de mettre fin à ses jours
Pour arrêter enfin ces atroces suicides.
Mais non, ce n’était rien, le jour se lève heureux.
Ah ! Antigone a échappé au supplice dramatique
D’être enterrée vivante, et d’à sa laisse, se pendre !
Son maître, mis de bonne humeur par sa belle moitié,
Ne s’aperçut de rien dans la terre des massifs.
Le soleil brillait, le printemps fleurissait.
Elle vint comme d’habitude en remuant la queue,
Fit des bonds, des mamours à son maître au matin
Puis se mit sagement aux pieds, sous la grande table
Secoua ses oreilles qui gardent un rien de sable
Et goûta aux plaisirs du petit déjeuner :
Quelques miettes par ci, une bouchée jetée.
Elle oublie son chagrin d’avoir perdu son frère.
Mais on ne le verra plus, il est bien enterré
Comme veut la tradition, c’est sûr, pour accéder
Au paradis des chiens.