Zondi à Antigone par Paul Lilin
Zondi n’avait pas eu l’occasion de faire grand-chose depuis son récent triomphe. Ses anciennes copines, avec qui elle avait partagé tant de bons moments en wifi et à qui elle ne cachait aucune information de son statut Facebook, l’ignoraient.
De toute façon, elle n’aurait plus jamais besoin de se joindre à elles pour un cours en bluetooth. Finies les études ! Le monde actif l’accueillait à bras ouverts, et elle qui n’avait jamais rien espéré de mieux qu’un diplôme de pharmacologie mécanique et, dans le meilleurs des cas, un job inintéressant dans un laboratoire de recherche sur les huiles, s’était vu offrir un passe pour l’aventure : en l’occurrence un badge d’Araignée Secrète.
Tant pis si les autres la dénigraient, l’accusant d’être favorisée.
Et pour cause !
Elle avait osé ce qu’aucune de ses amies n’aurait fait : elle avait écrit son commentaire facultatif en F0000 (nom de la couleur noire), c'est-à-dire en noir et il avait visiblement été lu et exécuté !
Les recherches pour Toutou avaient cessé et on lui avait envoyé un mail lui demandant, je cite, de : « remplacer l’agent Toutou, de son vrai nom Xamjolino, supposé disparu dans l’exercice de ses fonctions le 21 janvier de cette année ».
Tout cela était bien joli mais, pour l’heure, Zondi en était réduite à regarder droit devant elle en se cramponnant de toutes ses forces, tout en se récitant intérieurement la liste des huiles adaptées au graissage des pattes endommagées.
Sous elle, attirant ses yeux comme un aimant, s’étendait la ville de Montpellier. Mais loin, très loin sous elle, et elle préférait ne pas y penser.
Le pigeon qu’elle chevauchait n’avait rien de naturel, il était entièrement faire de métal, et les autres volatiles s’en seraient rendus compte « s’ils n’avaient pas un ventilo à la place du processeur ! »
En effet, de nombreux oiseaux volaient autour de l’araignée, obligeant le pigeon métallique à faire des embardées pour les éviter. Soudain, celui-ci se mit à piquer et Zondi poussa un cri si puissant que les volatiles - après une latence infime - s’éloignèrent à tire d’aile, la laissant seule avec son vertige.
Ses collègues de la Sécurité, qui la surveillait par des caméras fixées sur les piliers, durent bien s’amuser en la voyant ainsi hurler, retenue à sa monture par un simple harnais qui la laissait libre de balloter au gré du vent.
Finalement, la course folle s’arrêta dans un coin à l’ombre de la place.
Zondi n’avait pas l’habitude de se retrouver dans des espaces ouverts, elle était plus habituée aux coins sombres des appartements. L’extérieur lui avait toujours paru lointain, comme un plateau de théâtre qu’elle regarderait par la fenêtre sans qu’il lui vienne à l’idée de participer.
Non pas qu’elle put prétexter venir d’une lignée ininterrompue d’araignées d’appartement : le concept de famille se trouvait grandement élargi par la production à la chaîne. Mais, le soleil lui paraissait si fort qu’elle se remémora soudain les impressions d’écran que leur professeur de radioactivité avait partagé avec eux : des systèmes grillés par la chaleur, d’autres déréglés par les rayons nocifs émis par l’astre solaire. Elle frissonna – ou plutôt elle cliqueta.
Il y avait trop de gens sur la place. Chaque personne était pour Zondi une montagne, presque un monde à chaque fois différent. Lorsqu’elle voyait ces géants se heurter, elle s’attendait à voir la terre trembler.
On lui avait toujours dit de lire attentivement l’énoncé, à l’école, aussi l’araignée alla chercher dans les archives son intitulé de mission.
C’était une simple surveillance – rien de très compliqué. Une association qui se faisait appeler l’ADRA organisait une fête de quartier répondant aux mots clés de « pacifique, artistique, apéritique ». L’association était cependant soupçonnée de recel de galette des Rois et accusée de favoriser le talent artistique et la création individuelle, ce qui constituait indéniablement une source de menace pour la démocratie.
« Bon, voyons voir… C’est quel bouton déjà ?
Le gros pour l’aimant le petit vert pour la seringue le triangulaire pour le chauffage… Je l’ai ! »
Zondi lança sa liane vers le haut du pilier le plus proche et...
« L’airbag ! Où est l’airbag ! » s’écria-t-elle. Toute à sa joie d’avoir retrouvé le gadget, elle avait mal calculé sa trajectoire et allait s’écraser en dessous de son point d’accroche.
Après avoir activé chauffage, ventilation et loupe, elle se souvint que l’activation du sac d’air salvateur était automatique. Enfin, elle retrouva une position dominante – si tant est que son vol avait été dominant.
Et là, tranquillement, elle se surprit à écouter sa propre histoire lue en dessous d’elle par un inconnu.
Ainsi elle serait surveillée ? Y’a plus de vie privée, de nos jours !
Paul Lilin, juin 2010 Images: Novakéi (pour le quartier), Paul pour Zondi.
Commentaire de l’auteur : Ce texte est un peu comme la trajectoire de Zondi-Tarzan : mal calculé au départ, qui s’arrête en route en heurtant un mur mais qui finit par arriver au bout… merci l’airbag !