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ADRA

La jeune fille par Marcelle Laurent

19 Juin 2010 , Rédigé par L'équipe de l'Adra Publié dans #Mots de l'Adra

 Elle monta dans le tramway à « Clairval » Il y eut un court moment de silence, parce que quelque chose de léger mais puissant s’était infiltré avec elle et flottait au-dessus de tous.


Elle ne payait pas de mine pourtant : elle était trop pâle, trop mince : sans doute anorexique. Les traits étaient anguleux, le nez droit. La bouche framboise jolie mais petite s’ornait d’un percing aux commissures. Un autre percing s’accrochait au sourcil droit.


Le bustier à fines bretelles soulignait sa maigreur et dévoilait largement le petit papillon bleu tatoué sur l’omoplate. Elle portait un jean troué à la mode d’aujourd’hui, des Nike et la casquette, de travers sur sa tête brune, était très ordinaire.


On la regardait tous. Elle ne nous regardait pas. Ses yeux nous effleuraient seulement mais l’intensité du regard vous brûlait et glissait, déjà ailleurs… Elle faisait vibrer en nous quelque chose d’obscur, ténu, indéfinissable et elle n’était même pas belle !


Il y avait beaucoup de monde à la station où elle descendit et une manifestation sur La Place du Millénaire. La police y était aussi. C’est là que le chien lui sauta dessus. Une grande bête haute comme un veau, noire avec une oreille cassée. L’animal lui sauta dessus sans la mordre, comme joyeux de la retrouver !


- C’est à vous, ce chien ?


Les flics avaient jailli près d’elle. Elle faillit dire « non » mais répondit « oui » en posant sa main sur la grosse tête du monstre noir qui la fixait intensément.


Elle leur sembla si fragile que les policiers se contentèrent d’un :

- Faut le museler et le tenir en laisse ! Compris ?


Elle hocha la tête et ils s’éloignèrent.


Alors, elle ôta la mince chaîne dorée qui cerclait 4 ou 5 fois sa cheville droite et la mit au cou du chien ; puis, dénouant sa ceinture de fils bleus, verts et rouges elle en fit une laisse. Le chien avait compris : ils étaient dans la même solitude et elle n’avait pas voulu le laisser aller vers la fourrière.


Ensemble ils se dirigèrent vers la foule tout près de la rue de Thèbes.


Et là, quelqu’un dit :

- La voilà votre Antigone, Monsieur Anouilh, et même qu’elle a déjà le chien !

On s’écarta pour leur laisser le passage.

 

 Marcelle. Mai 2010

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